Philo Decrypte
L'actualité avec philosophie
Passion et simplicité
Invité le 11 septembre de Philo Décrypte : Thierry Frémeaux.
Une séquence où il a parlé très librement de culture et de cinéma mais ausside son parcours, du Festival de Cannes, de son projet pour l'Institut Lumière, de la vague MeToo, d'une presse qui l'agace... Alors que venait de paraitre son dernier livre «Rue du Premier-Film»et à la veille de son Festival Lumière.
Il aurait pu être journaliste…
On peut même se demander s’il n’a pas hésité dans sa jeunesse.
Etudiant il a réalisé un mémoire sur le fameux magazine Positif qu’il a d’ailleurs sauvé l’année dernière. Et il a été un des fondateurs de Radio Canut. Deux médias qui n’ont jamais hésité à parler dur et fort.
D’ailleurs s’il avait eu une carte de presse, cet enfant des Minguettes l’aurait mis dans sa poche gauche. De quoi passer inaperçu dans cet univers !
D’ailleurs Thierry Frémaux aurait fait un excellent journaliste car il sait raconter et mettre en scène. Trouver les mots justes. Sans faire étalage de sa culture cinéma. Toujours un peu en retrait.
Mais surtout il sait poser des questions pointues, l’air de rien. Un petit sourire au coin des lèvres.
Il faut l’avoir vu interviewer un acteur, une actrice, un réalisateur…. Star ou pas, même scénario. Il sait écouter et relancer. Nature, direct et beaucoup d'humour.
En plus depuis quelques années, il écrit des livres. Pour raconter son Tavernier, son Festival de Cannes, son Judo et aujourd’hui son Musée Lumière. Style très journalistique, pas de grandes théorie, un témoignage, des images, des histoires… Et un regard.
Bon il n’a pas été journaliste. Et visiblement, pas de regret. D’autant qu’aujourd’hui il est en permanence sollicité par les journalistes. De Cannes à Lyon, il multiplie les interviews. Ce qui lui a permis de réaliser un véritable tour du monde du journalisme. Peut peut-être qu’un jour il racontera. Ce qui permet d’être très… drôle évidemment.
La quasi-totalité des journalistes estiment dans leur jargon que c’est un bon client. Avec lui pas d’embrouille, ni de faveur. Courtois mais pas de cinéma ! Toujours cette simplicité qui est ou devrait être la principale qualité des journalistes pour être compris de tous. Avec l’honnêteté pour s’approcher du vrai. Bosseur et passionné, exigent aussi, là encore, très journalistique.
Mais voilà. Il n’a pas été journaliste. Car il visait plus haut. Sans doute la faute à ces sacrés frères Lumière !
Ecoutez le podcast de cette séquence
qui s'est déroulée le 11 septembre au Fourvière Hôtel
Vous allez voir, comment il jongle avec le jeu de questions-réponses
proposé par Philo Décrypte, tout en prenant de la hauteur
Présentation de son livre / onglet blog
Dette française
Un libéral en liberté
La dette française est-elle remboursable ?
Jean-Marc Daniel a relevé le défi, fin juin. A peine plus d’une heure
devant Philo Décrypte, rythmée par les questions de Philippe Brunet-Lecomte.
Une belle démonstration pour cet économiste
très médiatique qui n’a pas peur de glisser quelques provocations.
Une voix forte, un rire sonore et un regard vif. Jean-Marc Daniel ce n’est pas le genre intello maigrichon et pâlichon. Au contraire, cet économiste bardé de diplômes, Polytechnique et Sciences Po Paris entre autres, s’i mpose par sa culture, d’abord, culture historique mais aussi formidable mémoire de conteur. Et cet ancien administrateur de l’INSEE jongle avec les innombrables chiffres qu’il a stocké sur son disque dur personnel. Brillant mais ouvert, il sait en plus parler simplement de problèmes complexes. Il faut dire qu’il n’a jamais cessé d’enseigner dans les écoles les plus prestigieuses. Et qu’il a été conseiller dans différents cabinets ministériels, affaires étrangères et culture.
Auteur aussi, d’une vingtaine d’ouvrages dont les titres suffisent à résumer ses convictions : «Combattre les rentes» «Quarante ans de mensonges économiques», «Soixante ans de matraquage fiscal» et bien sûr «L’argent magique».
Enfin c’est un journaliste influent. Directeur de la revue Sociétal, éditorialiste aux Echos après avoir collaboré au Monde et chroniqueur à BFM Business.
Libéral, «libéral classique» comme il le dit lui-même, il a accepté d’intervenir jeudi 20 juin à Lyon devant le cercle Philo Décrypte pour répondre à une question sensible : la dette française est-elle remboursable ?
Sans langue de bois, souvent drôle, parfois provocateur, il assume un discours original et libre dans un océan de conformisme. Rare surtout au coeur de cette campagne des élections législatives où s’affrontent trois blocs qui n’hésitent pas à multiplier les promesses parfois assez folles qui vont encore alourdir cette dette.
«Les allemands payent la paresse des français»
Dès les premiers mots, Jean-Marc Daniel rappellent quelques évidences, notamment que la dette publique française qui s’élève aujourd’hui à 3 100 millards d’euros est «le cumul des déficits budgétaires» dont le premier est apparu en 1975. Essentiel pour comprendre cet engrenage qui aujourd’hui a propulsé cette dette à 110% du Produit intérieur brut. Autre date clef dans cette dérive : 1981 avec «une série de décisions calamiteuses» : retraite à 60 ans, 35 heures… qui vont définitivement plomber les finances de la France.
Une introduction qui donne le ton de ce moment de réflexion soutenu par des anecdotes, des rappels historiques et quelques provocations.
Evidence encore quand il insiste sur «la dette éternelle» qu’on ne rembourse pas mais dont on paye simplement les intérêts, 50 millards l’année dernière. Dont environ la moitié est assumée par la Banque Centrale.
Mais il convoque aussitôt «le cas» du Japon qu’il considère comme «une unité de soins palliatifs» car sa population est la plus âgée du monde alors que c’est un «pays fermé à toute immigration». Avec logiquement une dette considérable, 250% du PIB japonais mais qui «ne coûte rien», quelques millards par an, car elle est détenue par leur banque centrale qui la neutralise, mais également par des compagnies d’assurance et des fonds avec des intérêts proches de zéro.
Ce qui va permettre à cet économiste d’analyser la dette française qui ne réussit pas cet «exploit». Dette qu’il caractérise en citant une interpellation d'Angela Merkel à Nicolas Sarkozy : «le travail des allemands et des néerlandais payent la paresse des français et des pays du sud de l’Europe». Avant d’ironiser : «les français pourraient travailler ne serait-ce que par curiosité».
«Abbysum abbyssus convocat»
Le mal français ? «Garantir un pouvoir d’achat sans qu’il y ait en face du travail, de la valeur». Un pouvoir d’achat qui génère une consommation de produits importés donc une balance commerciale déficitaire, 100 milliards l’année dernière.
«Le problème n’est pas la dette mais le déficit extérieur» insiste l’ancien élève de la prestigieuse Ecole Nationale de la Statistique. Déficit financé par la dette en euros qui permet à ses créanciers d’acheter le patrimoine des Français, bourse, immobilier… Mais aussi des écoles comme Science Po ou des clubs de foot comme le PSG.
«Et on vend tout ça en criant victoire, «Choose France» ! Mais une fois qu’on aura tout vendu, qu’est-ce qu’on fera ? On vendra Versailles ? La Joconde ?» Mais il écarte la SNCF dans un sourire « Là on serait obligé de payer pour s’en débarrasser !».
Un patrimoine national qui s’élève tout de même à 20 000 milliards dont 5 000 publics. Mais qui ne peut pas servir d’alibi pour continuer à s’endetter.
Jean-Marc Daniel reconnait néanmoins que la France n’est pas la seule.
Les Etats Unis sont même les champions avec une dette de 25 000 milliards de dollars et un déficit budgétaire de 2 000 milliards «40% de la dette mondiale pour 20% du PIB mondial». Mais cette dette ne casse pas leur économie car ils inondent le monde avec leur dette en dollars qui stimulent la croissance mondiale et qui servent aussi à acheter des entreprises et de l’immobilier aux Etats Unis.
Et il revient sur la dette française avec une citation latine «abbysum abbyssus convocat», l’abime creuse l’abime. Ce qui lui permet une plongée dans l’histoire de France où il raconte comment le Directoire décide en 1998 de brûler la fameuse planche à billets. Mais un orage qui éclate éteint le feu. D’où cette réflexion d’un membre de ce Directoire : «On arrivera jamais à se débarrasser de cette saloperie». Jean-Marc Daniel enchaine : «Ça continue aujourd’hui. La seule différence c’est qu’à l’époque la convertibilité en or donnait une garantie et fixait une limite». D’où ce diagnostic d’un économiste à l’époque «L’Etat s’en tirera quand il deviendra alchimiste».
Toujours très actuel, pour lui, vu l’évolution de cette dette.
Le roi qui vendait sa soeur pour assainir ses finances
Nouvelle plongée dans l’histoire. Avec Ramses II qui n’arrivant pas à financer ses travaux pharaoniques décidera alors de prostituer ses filles. Ou le roi Jean Le Bon qui lui «vend sa soeur» à un prince italien pour remettre à niveau ses finances.
Et il enchaîne avec le Fond souverain norvégien, «un des plus grands fonds de capitalisation du monde» qui est le principal détenteur de la dette française donc le principal investisseur en France. Bourse, immobilier…
Le Japon pointe encore son nez. Avec une balance commerciale déficitaire de 100 milliards, comme la France mais dont la Balance des paiements est excédentaire de 120 milliards, contrairement à la France qui affiche un déficit de 40 millards. Pourquoi ? Parce que leurs placements à l’étranger leur rapportent 250 millards par an.
Pas le cas de la France ! Toujours imprécateur, il poursuit en soulignant que non seulement les Français ne travaillent pas assez mais ils sont incapables de faire des d’enfants !
L’immigration une solution ? Il n’écarte pas cette piste en se déclarant cependant «indigné» par ceux qui préconisent «une immigration choisie» car «elle vide les pays d’Afrique de leurs élites». Médecins, informaticiens…Alors qu’il serait plus judicieux d’investir dans ces pays pour que leur développement réduise cette vague migratoire. Mais il note qu’une immigration zéro paralyserait de nombreuses entreprises françaises.
Et quand on l’interroge sur l’origine de cette dette, il répète «pouvoir d’achat garanti sans connexion avec le travail» financé par la dette. «On refuse de dire la vérité aux Français» dit-il en mettant en avant l’augmentation des prix de l’énergie provoquée par la guerre en Ukraine. Et la décision du ministre des finances de plafonner le litre d’essence à 2 euros. Ce qui souligne «l’incapacité des politiques à demander un effort aux français».
Mais surprise, il rend hommage à deux socialistes qui ont su réagir. Mitterrand d’abord, en 1983 avec son discours justifiant le tournant de la rigueur, «on ne peut pas tout avoir», pour entériner une baisse du pouvoir d’achat en contrepartie d’une réduction du temps de travail.
Et il ajoute : «le seul à avoir redressé les comptes publics c’est François Hollande grâce à un matraquage fiscal phénoménal». En précisant que ce sont les élus de centre gauche qui se révèlent être «les meilleurs» pour tenir les finances publiques. Avec un hommage à Bill Clinton qui a su réduire de façon magistrale le déficit budgétaire américain.
«Privatisation de la Sécurité sociale»
Y-a-t-il une dette de droite et une dette de gauche ?
La question fait sourire l’économiste qui répond en estimant que «les dettes couvrent tout le paysage politique». Mais il balaye cet argumentaire de la dette d’avenir, qui met en avant par exemple les dépenses de santé ou d’éducation. Bonne dette, d’investissement contre mauvaise dette, de fonctionnement.
Provocateur là encore, il convoque un Prix Nobel d’Economie, Robert Wilson qui préconise une réduction des dépenses d’éducation jugées «inefficaces» car ce système n’enseigne plus «des savoirs-faire» mais distribue «des titres» dont les titulaires exigent ensuite «des droits».
«Un système rigide». Une fois de plus, il convoque le Japon pour souligner que les investissements d’avenir ne sont pas toujours pertinents avec une histoire de ponts construits en nombre dans ce pays mais qui ne servaient à rien. Du coup, l’Etat ouvrira un autre chantier pour détourner des rivières «afin que l’eau coule sous les ponts» !
L’occasion de définir «les fonctions premières» de l’Etat : réagir face à des problèmes où le marché n’a pas de solution. Il évoque le réchauffement climatique «dette aussi lourde que les dette financière» en préconisant le litre d’essence à 4 euros, soit le prix actualisé de 1975. Autre fonction : le rôle social de l’Etat aussitôt ponctuée par une inquiétude. «Ça coûte un pognon de dingue» dit-il en reprenant la célèbre formule d'Emmanuel Macron. Une solidarité qui exige d’être «évaluée» en injectant de la concurrence dans ce système.
Et nouvelle provoc, il recommande «une privatisation de la sécurité sociale» et mais aussi «une retraite par capitalisation». Concurrence qui permettra, selon lui, de générer automatiquement des économies.
«Les agences de notations doivent dégrader la France»
«La dette n’est pas forcement négative» avoue néanmoins cet ennemi résolu de la dette publique en précisant qu’il ne s’aligne pas sur Clément V, le dernier pape à prononcer un interdit contre la dette. «Le problème n’est pas la dette mais le fait qu’il n’y a pas d’actif pour garantir cette dette».
Histoire encore. «Le 19ème siècle a été le siècle où on a le plus investi : mines, chemin de fer, ponts…. Mais ces investissements étaient financés par l’épargne. Ce qui a permis de toujours avoir des finances public équilibrées».
Pour lui, il faut justement que «quelqu’un pour dire non à l’Etat» d’où l’intérêt des banques centrales indépendantes.
En revanche il écarte la thèse d’une complicité du système bancaire qui encouragerait les Etats à emprunter pour en profiter. Pour lui, c’est non, car les banques ne tirent pas profit de la dette dont elles ne sont pas détentrices même si elles l’utilisent pour vendre à leurs clients des produits financiers.
Même réaction face à cette rumeur qui laisse entendre que les grands chiffres autour de cette dette seraient «truqués pour cacher la vérité». Idiot, réplique le statisticien en rappelant les règles de la comptabilité publique.
En revanche les agences de notation ne font pas leur travail, estime celui qui estime qu’elles doivent dégrader la note de la France. D’autant que leur indulgence ne trompe personne, tous les investisseurs ont les éléments en main, pour évaluer l’Etat des finances françaises.
Trois blocs politiques trop prometteurs
En revanche, quand on évoque l’inertie des hommes politiques face à la dette, à gauche comme droite, il reconnaît que malgré les grandes déclarations et les belles promesses, aucune décision sérieuse n’est jamais mise en oeuvre pour assainir les finances publiques. Et il répète que le coeur du réacteur c’est le pouvoir d’achat, le travail et l’épargne.
Mais au fond, cette désinvolture financière n’est-elle pas le produit d’un culture française illustrée par cette fameuse formule gaullienne «l’intendance suivra»?
Jean-Marc Daniel répond en avouant rencontrer des ministres, têtes à têtes «clandestins» vu ses prises de position. D’ailleurs, souvent ils lui avouent «vous avez raison sur le fond mais les français ne sont pas mûrs» en ajoutant que «le pays est ingouvernable».
«Manque de courage» des politiques. Mais ça ne semble pas décisif car, pour lui, le coeur de l’économie ce sont les entrepreneurs qui eux «ne manquent pas de courage». En prenant des risques, en embauchant, en innovant…
Dans la foulée, il cite en exemple Pierre Mendes-France, «rigoureux et courageux» mais qui n’est pas resté longtemps au pouvoir. Un signe !
Quand on lui demande d’évaluer les programmes économiques des trois blocs qui s’affrontent aux élections législatives, il soupire. L’air désabusé et sans grande illusion.
Avec un Front Populaire qui s’est inspiré du programme commun de Mitterand. « Ça part dans tous les sens». Ce qui coutera plusieurs centaines de millards avant de finir «comme en 1924 quand Edouard Herriot invoquera le mur de l’argent» pour justifier
sa débâcle économique.
Quand au Rassemblement National, il avoue être incapable de se prononcer car «leur programme change tous les 48 heures» Et il se demande même si «le RN a peur de gagner ou fait tout pour perdre».Alors que le bloc central qui affiche «un passé devenu un passif» se contente aujourd’hui de «bricoler»
Tous d’horribles étatistes, suggère ce libéral sans complexe.
«Enrichissez vous par le travail et l’épargne»
Optimiste quand même ?
Oui d’abord parce que la jeunesse, dit-il, préfère se mobiliser contre le réchauffement climatique que pour une augmentation du SMIC. «Prise de conscience». Une génération qui a le goût de l’aventure mais aussi une sensibilisation aux nouvelles technologies plutôt qu’aux vieilles rengaines idéologiques.
Au passage il se souvient du Monde titrant «Phnom Penh libéré» quand les Khmers rouges commençaient à massacrer la population. «Aujourd’hui ce genre d’absurdité ne prend plus» d’autant que «même si la pensée est encore conformisme, ce conformisme est secoué en permanence» par la réalité.
Sa conclusion justement : «Enrichissez vous par le travail et l’épargne» La fameuse recommandation du Guizot ministre puis président du conseil sous la Monarchie de Juillet qui sera renversée par la Révolutionne 1848 !
Mais Jean-Marc Daniel pense que son analyse finira par s’imposer. Malgré tout.
«On vit au dessus de nos moyens avec un système social qui coûte cher mais inefficace… Et désormais on est arrivé au bout, il est inévitable qu’on finisse par ouvrir les yeux» pour s’engager sur un chemin «plus censé».
Mais il fait aussitôt un pas de coté «les économistes proposent, les politiques disposent»
avant de glisser quand on lui suggère qu’il est bien seul à développer ce genre d’analyse «Je ne suis pas seul, je suis le premier !»
22 juin 2024
L'intégrale
de toutes ces
interventions
sur podcast
«Réformer l’Europe
pour avancer !»
L’Europe peut-elle mourir ? C’est la question posée par Philo Décrypte
à Partick Martin-Genier à la veille des élections européennes. Réponse d’abord en expliquant comment s’est construite et fonctionne Europe. Avant de dresser des perspectives
et de formuler des propositions.
«Vous êtes professeur à Sciences Po Paris où vous enseignez le droit public. Mais vous n’êtes pas un militant pro-palestinien… Non, votre vraie passion c’est l’Europe !» a lancé Philippe Brunet-Lecomte, le journaliste qui animait ce débat pour présenter Partick Martin-Genier au Collège Hôtel devant un public nombreux jeudi 30 mai, quelques jours avant la grande consultation pour renouveler le parlement européen.
Auteur de «Quel avenir pour l’Europe ?» une référence pour les étudiants, mais aussi les élus, les journalistes… cet expert est également consultant sur la chaine d’information en continu LCI où il intervient sur les questions internationales.
Européen convaincu mais lucide, il sait de quoi il parle. Mais il parle simplement de cette Europe, sans langue de bois et en douceur. Sans regarder de haut les euro-sceptiques, mais au contraire en essayant de les convaincre.
Regrettant que parfois les débats révèlent une certaine méconnaissance de l’Europe, de son histoire, son fonctionnement, ses atouts et ses faiblesses, cet enseignant a tout d’abord expliqué comment, jeune étudiant à Sciences Po, il s’est intéressé à l’Europe en rencontrant quelques figures comme Jean Monnet, Maurice Faure, Michel Rocard… Et même Maurice Couve de Murville, premier ministre du général De Gaulle, pour qui l’Europe était «un machin» et dont le discours «Europe des nations» ressemblait fort à celui des euro-sceptiques aujourd’hui.
Mais à l’époque, «l’Europe faisait rêver». Désormais ce n’est plus le cas. «Il y a un désenchantement» qui exige de «rallumer la flamme». Alors qu’entre Rome, Madrid et Berlin, les nationalistes s’imposent dans une opinion souvent victime de «désinformation» qui la conduise à rejeter cette Europe.
Trois dates-clefs et un triangle
Une Europe dont il accepte de rappeler l’histoire en trois dates fondatrices.
Mai 1950 d’abord. Avec la déclaration du ministre des affaires étrangères Maurice Schumann, «inspirée par Jean Monnet», qui au nom de «la réconciliation entre la France et l’Allemagne» va proposer des «solidarités de fait» autour du charbon et de l’acier qui vont permettre la création de la CECA l’année suivante. «Le début de l’Europe intégrée» réunissant alors six pays.
Mars 1957, deuxième étape importante avec la création de la CEE, le marché commun qui va permettre de lancer une zone d’échange sans frontière qui pèse aujourd’hui 16 000 millards d’euros de PIB, soit l’équivalent du PIB Chinois avec seulement 450 millions d’européens.
Et dernière date clef, juin 1979 avec la première élection du Parlement européen au suffrage universel direct, qui permettra d’installer à la tête de cette institution, Simone Weil. «Un symbole fort».
Gilles Martin Genier va alors enchainer avec un schéma, devant un tableau noir et craie blanche à la main ! Pour dessiner le fameux «triangle institutionnel» qui permet de comprendre «comment ça marche». Avec au sommet la Commission européenne dont le rôle principal est d’être «à l’initiative des lois» ou plus exactement des fameuses directives et règlements européens qui soulèvent parfois de violentes polémiques. Une commission constituée de 27 membres «pressentis» par les Etats mais qui ensuite doivent être investis par le Parlement après une audition serrée pour décrocher un mandat de cinq ans.
Mais cette Commission avant de faire voter ses lois au Parlement doit d’abord les soumettre au Conseil européen constitué par les ministres concernés des 27 Etats membres qui disposent d’un droit de véto pour la diplomatie et la fiscalité mais qui sur les autres dossiers se prononcent à une majorité qualifiée : 55% des Etats et 65% de la population.
Composé de 720 élus, 705 à partir du 9 juin, ce parlement européen est central dans la machine bruxelloise puisqu’il investit les commissaires, vote les lois et le budget, 180 millards d'euros environ.
«Une démocratie parlementaire» souligne Patrick Martin Genier qui regrette que les abstentionnistes ne réalisent pas toujours l’importance de cette institution, émanation directe des peuples européens, et qui a un impact direct sur leur vie quotidienne.
Un parlement qui depuis sa création est dirigé par une coalition qui réunit la droite et la gauche modérée. Les trois autres courants, écologistes, libéraux et nationalistes, apportant leur concours en fonction des textes débattus.
Alors faut-il élire un président de l’Europe au suffrage universel direct ?
Même s’il cite la fameuse phrase de Kissinger, «Europe ? Quel numéro de téléphone ?» cet universitaire ne semble pas convaincu que ce soit une priorité. «L’Europe a déjà trop de présidents» ironise-t-il en rappelant que le Conseil européen réunit aussi les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 et constitue un niveau de décision «suprême» dans ce «système complexe». Pour lui un président élu peut renforcer l’identité européenne «à condition de ne pas compliquer les choses»
Mais cette démocratie parlementaire lui semble plutôt adaptée à une bonne gouvernance de l’Europe même si on ne le comprend pas toujours en France qui a «le régime le plus autoritaire» avec la présidentialisation consacrée par la 5ème République.
Elargissement imposé par l’histoire
Reste un autre pouvoir souvent contesté : l’administration européenne et ses 60 000 fonctionnaires. «Moins nombreux que pour la ville de Paris» précise Partick Martin-Genier en
estimant qu’ils sont «extrêmement compétents». En revanche il regrette leur «langage de technocrate», leur manie de «faire leçon sans connaitre le terrain»… Et pourtant ces fonctionnaires peuvent prendre des décisions importantes, notamment dans l’attribution de fonds, sans aucun contrôle politique. «Une bulle administrative» que la commission ne parvient pas toujours à cadrer. Ce qui exigerait une vraie réforme, sans pour autant remettre en cause le rôle que joue cette administration.
Autre problème qui provoque des dysfonctionnements à Bruxelles : «la bataille rangée» que se livrent la Commission et le Conseil. D’autant que la présidence de ces deux institutions est, à ce jour, occupée respectivement par deux personnages très antagonistes Ursula von der Leyen et Charles Michel. Un conflit qui révèle «un problème d’égo et de pouvoir». Révélateur au fond de l’incompatibilité entre deux Europes, fédéraliste et nationaliste.
Alors faut-il approfondir ou élargir l’Europe ?
«Une question délicate» répond Partick Martin-Genier en ajoutant «dans le triptyque de la construction européenne, achèvement-approfondissement-élargissement, l’élargissement arrivait à la fin. Mais l’histoire en a décidé autrement». La faute à cette chute du Berlin qui a signé, en 1989, la fin du communisme et de l’empire soviétique.
«Tous les pays ont voulu alors rejoindre l’Europe synonyme de liberté et c’était impossible de refuser cette aspiration à la liberté». Au passage, il raconte avoir insisté auprès de Jacques Chirac alors président de la République pour «une adhésion accélérée de la Pologne».
C’est comme ça que l’Europe des 15 passera rapidement à 27 alors qu’aujourd’hui une dizaine d’Etats sont officiellement candidats. Notamment la Georgie et l’Ukraine. «Ils ont besoin de nous mais ils ne sont pas en situation d’adhérer» admet cet européen convaincu qui passe en revue les différents problèmes : corruption, état de droit, concurrence… Cela impose aux candidats de franchir des étapes exigeant en moyenne «une dizaine d’années» avant de rejoindre l’UE.
Vers une Europe à deux vitesses
En revanche il semble plus optimiste sur un approfondissement de L’Europe. En citant l’exemple du Covid qui a provoqué «un réflexe de survie alors que l’Europe n’avait aucune compétence santé». Ce qui a permis de masquer et vacciner les européens en un temps record.
Autres perspectives d’approfondissement : le social pour harmoniser notamment les salaires minimum. Mais aussi l’environnement malgré une tendance à dénoncer «l’écologie punitive»
Et bien sûr la défense. «Il n’a jamais été question, contrairement à ce que certains affirment, de créer une armée européenne mais de developper une meilleure coopération pour construire une industrie de l’armement». Proposition soutenue par le commissaire européen français Thierry Breton. Sacré défi alors que 60% des armes achetées par les 27 sont américaines.
Une Europe à deux vitesses permettrait de franchir un cap ?
«Mais aujourd’hui cette Europe à deux vitesses existe déjà. Seuls 20 des 27 membres de l’UE utilisent l’Euro comme monnaie. De plus si 9 Etats décident d’aller plus loin dans un domaine, comme la santé ou la défense, les autres ne peuvent pas les bloquer».
Inévitable, le sujet sensible des frontières.«Lorsqu’on a fait Schengen, on n’imaginait pas que les flux migratoires seraient aussi importants». Mais Patrick Martin-Genier affirme que le pacte asile-immigration qui vient d’être voté après quatre années de débat, va dans le bon sens. D’autant que Schengen donne carte blanche aux états membres pour renforcer le contrôle de l’immigration en cas d’urgence. Double frontière, par exemple. «Ce que propose le Marine Le Pen mais que l’Allemagne et la Pologne ont déjà fait». Même chose pour les zones d’accueil hors du territoire européen avec l’Italie qui paye l’Albanie pour accueillir ses demandeurs d’asile. Ou la Hongrie qui s’est entourée de murs et de barbelés.
«Cela va posera des problèmes juridiques en remettant en cause le principe du non-refoulement prévu par la convention de Genève» estime ce juriste qui ne cache pas ses convictions : «j’ai toujours milité pour les valeurs européennes».
Réformer l’unanimité qui paralyse
Dans la foulée, il annonce une percée des nationalistes qui pourraient, selon lui, décrocher jusque’à 200 sièges dans le futur Parlement. «Ils vont peser plus lourd ce qui risque d’être compliqué» car la coalition droite-gauche-libéraux va être affaiblie.
Puis logiquement, il s’interroge sur l’avenir de l’UE : «aujourd’hui on n’aime plus l’Europe qui est devenue un tiroir caisse et qui en plus est paralysée par cette règle de l’unanimité».
Pour lui, la principale réforme à mettre en oeuvre est de passer à la majorité qualifiée en abolissant cette unanimité imposée pour un certain nombre de décisions, ce qui explique par exemple l’absence d’harmonie fiscale ou sociale qui créé des distorsions de concurrence à l’origine du rejet assez fort de l’Europe dans les pays ayant des systèmes sociaux plus favorables.
Une réforme qui permettrait aussi de recadrer les pays, comme la Hongrie, qui bloquent l’Union Européenne en la prenant en otage. «Pour sanctionner un pays il faut l’unanimité, ce qui est absurde» d’autant plus qu’aucune clause ne permet aujourd’hui d’exclure un pays de l’UE qui en revanche peut la quitter sans difficulté majeure.
Mais il avoue ne pas regretter le départ de l’Angleterre que «personne ne souhaite voir revenir dans l’Union Européenne» mais qui aujourd’hui paye très cher son Brexit.
«Attention à ne pas mettre sur le dos de l’Europe des problèmes qui relèvent des Etats» insiste Partick Martin-Genier en regrettant «la démagogie» des populistes qui souvent s’affranchissent de la vérité.
Mais il reste «optimiste à condition qu’on se mette autour d’une d’un table pour réformer l’Europe afin qu’on avance plus en profondeur» Sans oublier «la défense des valeurs» qui font l’Europe et qui soutiennent la démocratie aujourd’hui mise en cause y compris en Europe.
«Beaucoup de musulmans
sont en prison
mais ils regardent le ciel !»
Sujet sensible mais question sans tabou : Faut-il avoir peur de l’Islam ? Pour répondre Philo Décrypte a invité jeudi 11 avril un scientifique pas tout à fait comme les autres. A la fois ferme et ouvert. Etonnant.
Scientifique mais pas sceptique. Guy Stremsdoerfer est un sacré personnage. Docteur en physique-chimie, professeur à l’Ecole Normale et chercheur, chef d’entreprise aussi, il a déposé de nombreux brevets qui ont permis la création de start-up tout aussi nombreuses. Mais c’est aussi un chrétien engagé qui a passé cinq ans en Algérie où il a fondé une communauté, l’Epiphanie, pour accueillir des musulmans et dialoguer avec eux. Expulsé, il a continué en France à accueillir des musulmans tout en publiant plusieurs livres sur l’Islam.
Pour cette séquence de Philo Décryte, il a accepté d’être interpellé autour de cette thématique : l’Islam né en 632 après Jesus Christ n’a-t-il pas tout simplement quelques siècles de retard par rapport à l’Eglise catholique qui pendant longtemps a fait preuve d’intolérance, des croisades à l’inquisition.
Il a relevé le défi sans langue de bois. Pendant plus d’une heure, il n’a jamais esquivé les questions même les plus dures. Au contraire. S’exprimant clairement et répétant souvent des formules qui lui semblent essentielles pour être sûr d’être compris. Mais toujours en douceur.
Dans sa jeunesse, il avoue qu’il était loin de la foi. Mais qu’un «jésuite américain, ancien drogué» lui a «transmis le virus». Avant de partir en Algérie à 22 ans pour enseigner. Et c’est là où ce chrétien qui n’hésite pas à l’afficher, a découvert l’Islam. En rencontrant des musulmans, souvent des jeunes, qui venaient le voir «pour se convertir». Fin des années 70, l’islamisme commencent alors à monter. Surveillé par police, son courrier est ouvert et son téléphone sur écoute. Avant d’être expulsé. Mais pour lui «une ambiance extraordinaire». Cinq années qui vont le marquer car il va consacrer sa vie à l’Islam.
«Le Coran est imprégné d’une grande violence»
«Mon regard sur l’Islam est venu de ceux qui quittaient l’Islam. Pas sous l’influence de missionnaires car il n’y en avait plus ! Mais parce que l’islam leur apparaissait comme une prison».
Un mot qu’il répétera dix fois au cours de son intervention. Et il ajoute «Ce qui les bouleversait c’est la liberté que nous avions. Liberté de pouvoir penser par nous mêmes car notre Dieu nous libérait».
Question sur cette Eglise catholique qui a longtemps été plongée dans l’obscurantisme. Et qui est mal placée pour donner des leçons.
Spontanément il reconnaît qu’il n’a pas l’habitude du «punching ball» mais il répond tranquillement en comparant deux Dieux créateurs, celui de l’Islam qui est «dominateur» et «dans l’absolutisme de la toute puissance» mais qui «comme le grand horloger de Voltaire» est un Dieu qui ne s’implique pas. Tout l’inverse du Dieu chrétien qui s’implique, «se penche sur les hommes et leur tend la main».
D’ailleurs il observe : «Les musulmans ne comprennent pas que nous chrétiens ayons une relation avec Dieu. Pour eux la prière est d’abord un code très précis. Exemple si vous commencez une prosternation du pied gauche au lieu du pied droit, votre prière n’est pas agrée»
Guy Stremsdoerfer va plus loin dans sa critique de l’Islam en estimant que c’est à l’origine une secte judéo-chrétienne et que Mahomet est «un mythe».
«L’islam s’est fait par l’épée. Mahomet est d’abord un général à qui on a collé ensuite l’étiquette de prophète». Ce qui a permis au «petit état de Médine de devenir en 70 ans un empire qui va de la Chine à la Gaule». Décisif pour l’Islam où selon lui la violence est omniprésente au cours des siècles.
Les quatre premiers califes qui succèdent à Mahomet vont mourir de mort violente, précise-t-il, en soutenant que le Coran apparait un ou deux siècles après la mort de Mahomet. Un Coran qui est imprégné d’une «grande violence» avec pas moins de 600 versets qui s’attaquent aux chrétiens et aux juifs qu’il faut «tuer». Un Coran où c’est Dieu qui parle. Et du coup il faut le respecter à la lettre sans l’interpréter encore moins tenter de faire évoluer certains de ses principes.
Et quand on lui objecte que le Coran proclame «pas de contrainte en religion» il explique que c’est un leurre. Car dans le Coran il y a les versets abrogés et les versets abrogeant, ce qui correspond à deux périodes très différentes, religieuse et militaire. Et c’est le plus dur qui l’emporte toujours. Soulignant au passage le sens du mot Islam : soumission.
Le secrétaire de Mahomet était juif, rappelle Guy Stremsdoerfer, et c’est son oncle lettré qui a écrit une partie du Coran constitué en partie de prières chrétiennes… D’ailleurs pour lui «l’Islam est une contre-réponse au christianisme». Plus de six siècles après la mort de Jésus Christ, alors que la chrétienté se développe rapidement.
«L’inquisition ? Condamnable mais pas comparable»
Mais dans la Bible aussi surgit ce genre de violence ?
«Oui mais on interprète, on actualise» répond ce chrétien convaincu en ajoutant que le Christ est fondamentalement non-violent.
Quand on lui parle de l’Islam des Lumières, il s’attaque au « mythe de l’Andalousie" où l’Islam triomphant au 14ème siècle de l’Inde à l’Espagne aurait fait preuve d’ouverture et de tolérance. Faux, réplique-il. Une image "fabriquée" car les chrétiens et les juifs ont été alors « persécutés ». Et il prend l’exemple d’Averroès, le fameux philosophe souvent cité en exemple mais qui «encourage la persécution des juifs et des chrétiens» dans ses écrits.
«Le génie de l’Islam c’est de s’insérer dans une culture et de la bouffer. Demain si un gouvernement musulman s’imposait en France ceux qui sont musulmans ne payeront pas la TVA» Pronostic fantaisiste ? «C’est ce qui s’est passé en Egypte qui était profondément chrétienne» jusqu’au 7ème siècle avant d’être conquise par les musulmans.
Quand on lui demande qui a proclamé «toute femme qui prie la tête non voilée déshonore sa tête». Du Saint Paul dans sa première lettre aux Corinthiens. Il réplique tranquillement que le voile qui est «très ancien» symbolise «la pureté chez la femme» mais qu’il a été ensuite «instrumentalisé». Puis il élargit en reconnaissant que «dans l’histoire de l’Eglise catholique il y a des choses honteuses» Mais il insiste : «le Christ n’a jamais été violent. Alors que les chrétiens peuvent être violents» Tout en répétant que l’ADN du Coran c’est la violence. Tout en regrettant la naïveté des Occidentaux.
Exemple, il se désole de l’ignorance des politiques qui s’étonnent de la radicalisation des détenus musulmans en prison. «Ces délinquants sont rejetés par sa communauté. Et comment ils peuvent se racheter ? Par le djihad !»
Et si on évoque les croisades chrétiennes pour les rapprocher du djihad musulman, il affirme que les croisades ont été «une réponse à l’invasion de Jérusalem et du bassin méditerranéen». Pas une volonté de convertir de force les musulmans. En revanche, il rappelle que quand ils capturaient des chrétiens, les musulmans leur proposaient de choisir entre la conversion, une rançon ou l’esclavage.
Et les buchers de l’inquisition ? «Condamnable mais pas comparable» répète Guy Stremsdoerfer en suggérant que les époques étaient très différentes.
En revanche sur la liberté de conscience reconnue très tardivement par l’Eglise catholique, en 1965 au Concile Vatican II, il répond que «Les musulmans peuvent évoluer, pas l’Islam» Puis il ajoute : «En Islam, pour que la fin des temps arrive, il faut que la terre entière devienne musulmane. C’est ça l’universalisme musulman. La conquête pas la conversion». Violence toujours. Et il enfonce le clou : «l’islamisme c’est l’Islam, ce n’est pas un problème de degré, pas de nature».
«Quand on est dans la fragilité, on se radicalise»
Islamophobe, Eric Stremsdoerfer ? «Etymologiquement, l’islamophobie signifie la peur de l’islam et non la violence envers les musulmans». Pour lui il est légitime dans une démocratie de critiquer l’islam. Mais il estime que l’islamophobie est devenu «une arme d’intimidation» en citant Philippe d’Iribarne. «Une arme utilisée par les islamistes eux mêmes pour faire taire les critiques sur l’Islam».
Interrogé sur l’avenir de l’Islam, il propose deux scénarios : implosion ou explosion.
Violence encore. Avec soit une guerre entre musulmans. Soit un conflit mondial déclenché par un pays musulman. Mais il précise que ce n’est pas l’Iran qu’il faut surveiller mais le Pakistan et son arsenal nucléaire au coeur d’une région où vit la majorité des musulmans de l’Indonésie à l’Inde.
«Le monde du musulman est aujourd’hui en pleine tension. Je dirai même que c’est la fin ou presque. D’ailleurs quand on est dans la fragilité, on se radicalise». A l’appui une série de chiffres pour montrer que dans les pays musulmans, les populations s’éloignent de l’Islam et les mosquées sont vides. Y compris en Iran. «Alors qu’en Europe c’est l’inverse, on assiste à un durcissement» soutenu par un réflexe identitaire et «le mythe du pays d’origine» d’autant plus que la vie n’est pas toujours facile pour les immigrés ou les enfants d'immigrés. Mais de plus en plus de musulmans rejettent leur religion et deviennent des apostats, un million en France, très actifs sur internet. Mais dont on parle peu.
Alors faut-il avoir peur de l’Islam ?
Guy Stremsdoerfer répond par une question : «Qu’est-ce que la peur ? Il y a deux types de peur. Il y a la peur qui consiste à démissionner, à se taire… Je fais profil bas, je collabore. Et il y a lla peur où au contraire je réagis avec agressivité, violence… Avoir peur d’un terroriste ça me parait assez logique. Avoir peur des musulmans dans leur ensemble, non ! D’ailleurs affirmer sa foi quand on est chrétien, ça provoque chez les musulmans une sorte de respect. Les musulmans, il faut les aimer mais il faut être ferme sinon vous êtes mort».
Une parole libre, très libre. Rien à voir avec l’Eglise officielle à laquelle Guy Stremsdoerfer reproche d’être en France d’une trop grande prudence vis à vis de l’Islam mais surtout d’être victime d’un «théocratisme» qui suggère que «toutes les religions se valent».
Ce qu’il ferait s’il était lui-même musulman ? Il sourit : «Je ne peux pas retourner en prison, j’ai été libéré ! C’est pour ça que je porte les musulmans car beaucoup de musulmans sont en prison mais regardent le ciel». Une conclusion très applaudie par une salle comble au Collège Hôtel.
Mais il ajoute aussitôt : «Depuis des années on ne veut pas voir la pression qui monte. Aujourd’hui 70% des non-musulmans en France considèrent que l’Islam est incompatible avec la République. Mais 70% des musulmans vivant en France considèrent que la loi de Dieu prime sur les lois de la République » Et il hausse le ton pour lancer : «Dis-moi quel est ton Dieu et je te dirai quelle société tu veux bâtir ».
«Il faut libérer l’Ecole !»
A peine plus d’une heure ont suffi jeudi 14 mars au philosophe Jean-Noël Dumont à analyser la crise de l’Education Nationale et proposer des solutions. Fort de son expérience, plus de 40 ans d’enseignement.
Liberté, autonomie, communauté. Ce sont les trois mots que Joan-Noël Dumont va proclamer et répéter au cours de cet entretien avec Philippe Brunet-Lecomte, journaliste qui va introduire ce «professeur de philosophie» en lui posant une question un peu brutale : «Faut-il privatiser l’éducation Nationale ?». Mais en précisant : «Il ne sera pas objectif mais honnête, un peu provoc comme d’habitude mais provocation à réfléchir sur un sujet sensible».
«Recruté sur le trottoir»
D’entrée de jeu, cette figure des Maristes à Lyon qui a largement contribué au succès de cet établissement accueillant aujourd’hui prés de 5 000 élèves, va balayer ce mot «privatiser» pour utiliser la formule «enseignement libre».
En quelques mots d’abord, il retrace son parcours. Né dans une «famille ouvrière» il va cependant faire ses études dans le privé, chez les Maristes à Lyon car c’est «un enfant du quartier» et que ses parents font «confiance aux curés». Rien ne le prédestinait à devenir agrégé avec «un grand père illettré» et «pas de livres à la maison». D’où cet aveu, «j’ai tout appris à l’école». Ce qui va sans doute favoriser son engagement pédagogique.
A peine diplômé, deux établissements publics prestigieux lui proposent de devenir prof : le lycée du Parc et le lycée Ampère. Mais il choisit un petit établissement privé pas vraiment réputé à l’époque, les Maristes. Ce qui va être décisif : la liberté justement. «Recruté sur le trottoir» c’est à dire sans formalités, par son directeur le Père Perrot qui va donner «une impulsion incroyable» à cet Externat Sainte Marie. Une vision et une méthode. «Quand on lui présentait une initiative, il nous disait allez-y». Et il y est allé avec une équipe de «jeunes turcs» qui, dans les années 68, va prendre le relais des religieux tenant cet établissement. Une vocation et un engagement fort. Sa vie.
Deux siècles en trois étapes
Avant d’entrer dans le vif du débat, il va tout d’abord proposer trois dates pour dessiner l’histoire de l’Education Nationale. 1806, 1859 et 1958.
1806, c’est la création de l’université par Napoléon qui va planter la base du système scolaire : primaire, secondaire, supérieur mais aussi le BAC qui suivra et surtout «le monopole» de l’attribution «des grades». D’où «la domination» de l’Etat sur l’Education, dès l’origine. Et non pas, précise-t-il, domination de l’Eglise catholique, contrairement à ce qu’on affirme souvent.
En 1850, la loi Falloux va balayer ce principe napoléonien pour consacrer «la liberté d’enseignement». Corrigée 30 ans plus tard par l’instauration d’une école publique reposant sur trois principes : obligatoire, gratuite et laïque. Avec une laïcité qui va hésiter entre neutralité religieuse et anti-cléricalisme. D’où une guerre scolaire parfois très chaude qui va se prolonger jusqu’en 1958 et la loi Debré qui, pour faire face au baby boom, va réaffirmer «la liberté d’enseignement» notamment catholique en instaurant deux principes : «un caractère propre», religieux ou pédagogique et «un besoin scolaire reconnu».
Un loi corrigée là encore, 30 ans plus tard, par Jean-Pierre Chevènement qui instaure un «crédit limitatif » imposant à l’Etat de ne pas accorder au privé plus de 20% des sommes accordées au public. De plus, avec la loi Censi, l’employeur des enseignants du privé devient le rectorat et non les chefs d’établissement.
«Une école pas seulement républicaine
mais nationaliste»
«En fait l’école républicaine n’était pas seulement républicaine mais une école nationaliste» affirme ce pédagogue en prenant l’exemple de l’histoire de France enseignée aux enfants : Vercingétorix , Jeanne d’Arc, Montcalm… «Une histoire complètement fausse, une légende, un enseignement idéologique» pour soutenir «la fierté» nationale et la «grandeur» de la France. De quoi renforcer le sentiment d’appartenir à la même communauté.
Nostalgique ? Non mais pour lui, pas d’éducation sans communauté.
«La crise actuelle de l’école est en fait une crise de la communauté nationale. On ne sait plus aujourd’hui si on est Français, européen, berrichon… Pour qu’une autorité soit recevable, il faut une communauté avec un consensus minimum. Voilà pourquoi aujourd’hui aucune autorité n’est respectée, pas simplement celle des profs mais aussi celle des parents, des médecins, des policiers, des chauffeurs de bus…»
«Aucun travail à la maison»
Refusant de critiquer le public de façon radicale, il pointe néanmoins ses faiblesses. Notamment une hyper-centralisation. 15 millions d’élèves, 1 million de professeurs et un budget de 70 millards d’euros. Un monstre qui mériterait pourtant plus de souplesse.
D’ailleurs pour lui la force du privé c’est justement l’autonomie de ses établissements qui permet «une pédagogique cohérente et pertinente». Ce qui explique ses «bons résultats».
Mais quand on l’interroge sur le caractère sélectif du privé, notamment sur le plan social, il répond que le coefficient familial permet aux plus défavorisés de bénéficier de la gratuité. Puis il élargit : «On n’a pas compris Bourdieu» notamment son livre «Les héritiers» car le célèbre sociologue estime que l’Ecole privilégie les privilégiés en ne notant pas les élèves sur «les savoirs fondamentaux qu’elle enseigne» mais en valorisant «les textes libres, les réponses originales, l’improvisation..» Et il s’insurge «Mais tout ça vient d’où ? Des familles, des discussions familiales, des livres familiaux… » Une pédagogie profondément inégalitaire, conclut-il avant d’insister : «Plus une discipline est objective moins elle fait passer les hérédités». C’est le cas des maths où se distinguent, selon lui, les immigrés. Ou même le latin, «considéré comme élitiste à tort» car il est assez rare qu’on s’exprime en latin même dans les familles bourgeoises.
«La classe dominante fait passer une culture clandestine» souligne ce philosophe en précisant que la quasi totalité des élèves de l’école Normale Supérieure sont des enfants de prof dont un de ses petits fils. «Délit d’initiés !»
La solution ? «Aucun travail à la maison» répète plusieurs fois Jean-Noël Dumont en estimant que l’élève doit rentrer chez lui, le soir, «les mains dans les poches». Après une étude où il a travaillé ses leçons et ses devoirs.
«Laissons aux profs la liberté
de faire leur métier»
Mais l’essentiel pour lui, c’est l’autonomie des établissements. Ce qui est loin d’être le cas dans le public. «Autonomie administrative, pédagogique et financière». Un triptyque reposant sur un vrai chef d’établissement qui doit «recruter ses collaborateurs pour constituer «une équipe cohérente» afin d’imprimer «un style, une couleur». Avec des méthodes pédagogiques originales.
«De quoi se mêle l’Education Nationale quand elle impose aux profs des méthodes pédagogiques ? C’est absurde ! Un prof c’est un homme de culture. On ne peut pas lui dire comment tenir un crayon… Une méthode c’est un chemin, laissons aux profs la liberté de faire leur métier. Toutes les méthodes sont bonnes à condition que ceux qui les portent savent ce qu’ils font».
Et il enfonce le clou : «Dans le public, le chef d’établissement est traité comme un agent d’exécution tout juste bon à s’occuper des photocopieuses. Du coup tout est lié à sa bonne volonté. Il y en a. Mais il y en a aussi qui restent dans leur bureau parce qu’au fond ils ne sont pas responsables».
Même liberté indispensable, selon lui, pour chaque établissement, y compris pour les programmes. «Avec une validation régulière des connaissances acquises par des examens nationaux».
Et il va plus loin, en estimant qu’il faut laisser les établissements notamment musulmans d’éduquer leur élèves en faisant la promotion de leurs valeurs. Même si elles divergent des valeurs républicaines. «On ne peut pas faire des citoyens français en les coupant de leur racines. Sinon on en fera des déracinés». Avec en perspective, les risques de dérapages radicaux.
Un communautarisme qui risque de diviser la société ?
Là encore, il balaye l’argument. Pour lui, « seules les communautés sont éducatives. Ces communautés doivent rester ouvertes mais elles ne pourront s’ouvrir que si elles sont reconnues dans leur légitimité».
Une école originale donc pertinente
Mais il n’hésite pas à critiquer aussi la bureaucratie catholique qui paradoxalement refuse cette autonomie des établissements catholiques :
«L’enseignement catholique ça n’existe pas. Il existe les Jésuites, les Maristes, les Dominicains… Chaque école est pertinente dans la mesure où elle est originale». Mais il estime que l’Eglise catholique a créé au début des années 70 «une administration centralisatrice » en créant sa propre Ecole Normale pour former les enseignants, en imposant ses concours de recrutement… Et sa volonté de récupérer l’argent public pour le répartir.
«Les évêchés se comportent comme l’Etat avec la même logique centralisatrice, le même succès, la même intelligence !» Ce qui contribue à «décolorer» les établissement privés qui perdent leur originalité. Et qui n’ont plus comme justificatif que les résultats au BAC»
Pessimiste sur l’avenir du privé ? Non mais visiblement inquiet par «la vision commerciale et concurrentielle» qui semble s’imposer dans l’enseignement libre. «Ce qui en dénature le sens» notamment avec ces classements «ridicules» et «absurdes» qui sont «une machine à sélectionner».
«Crise des vocations»
Tout cela explique les difficultés à recruter des enseignants. «Une crise des vocations» qui révèle que «le système n’est plus attractif». Logique car les profs sont devenus «des exécutants de reformes successives», étouffés par une bureaucratie mais souvent seuls, sans soutien de leur hiérarchie ni de leurs collègues démotivés. Et il évoque les salaires dont le niveau est «pathétique» mais qui a son origine dans la création de l’école napoléonienne sur un modèle quasi-religieux où les enseignants devaient être célibataires, dévoués… Pratiquement bénévoles. Mais qui étaient admirés et respectés. ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. D’où une revendication légitime d’être payé de façon décente.
Même chose pour l’autocensure que s’impose de nombreux profs pour éviter de faire des vagues. «Leur insécurité vient de leur solitude. Pour qu’il y ait une liberté il faut qu’il y ait une communauté cohérente»
Mais il est «sceptique» sur le projet d’imposer l’uniforme à l’école. «Ce n’est pas avec un uniforme de gendarmes qu’on fait un gendarme». Pour lui cet uniforme ne gommera pas les inégalités sociales, ni restaurera l’autorité. Le problème est plus profond.
«Supprimer le ministère de l’éducation Nationale»
Fervent partisan du «voucher», un ticket scolaire, il considère qu’il faut gérer l’argent public de façon différente : «Au lieu de financer les établissements scolaires, il faut financer les familles pour qu’elles puissent choisir l’école où elles vont mettre leurs enfants». Ce qui, pour lui, favoriserait la qualité de l’enseignement et la mixité sociale. Comme en Suède.
Là encore aucun danger, cette liberté sans limite ? Question qui l’agace. «Il y a toujours un moment où on suggère qu’on ne peut pas faire confiance aux gens. Ben si, il faut leur faire confiance. La liberté n’est pas un danger. Mais une chance. Il faut libérer l’Ecole !»
Et Jean-Noël Dumont conclut en insistant à nouveau sur ce qu’il estime «fondamental» aussi bien dans la privé que dans le public : l’autonomie des établissements. Une décentralisation vraiment possible ? « Oui mais ça voudrait dire : supprimer le ministère de l’Education Nationale !»
Immigration
«La passion l’emporte sur le réel»
Un sujet sensible, pour la deuxième séquence de Philo Décryte, avec Didier Leschi,
auteur du «Grand Dérangement» qui a développé une analyse nuancée du phénomène mais sans langue de bois. Original !
Un homme de gauche qui ne rougit pas quand il parle immigration.
Le préfet Didier Leschi le revendique sans complexe. Un praticien pas un théoricien qui dirige l’Office Français de l’Immigration et l’Intégration. C’est sans doute ce qui explique ses propos mesurés et toujours très concerts au cours de cet entretien où il s’est démarqué à la fois des «fantasmes» de la droite et des «dénis» de la gauche.
Ancien militant trotskiste, proche de Jean-Pierre Chevènement, il explique d’abord son parcours «social» au Ministère de l’Intérieur : politique la ville, bureau des cultes…
Puis aujourd’hui l’OFII qui prend en charge «l’accueil de toutes les immigrations».
De l’hébergement d’urgence au retour volontaire en passant par l’apprentissage du français. Et pour bien poser débat, il définit quelques mots : migrants, exilés… En regrettant le manque de précision dans ces appellations alors que, pour lui, l’essentiel c’est le terme immigré «étranger né à l’étranger». En précisant qu’ils sont aujourd’hui 7 millions en France soit 10% de la population mais il ajoute qu’un tiers des Français ont «un ascendant immigré», sur trois générations.
Pas de déni aussi, quand il évoque la progression cette immigration qui a doublé depuis 10 ans en Europe qui n’est «pas une forteresse».
Et il souligne alors qu’en France, 325 000 immigrés ont reçu l’année dernière un titre de séjour et qu’ils se répartissent en quatre familles. La première ce sont les étudiants, 100 000 par an et dont un tiers reste sur le territoire. Suivie par le regroupement familial légèrement en dessous de 100 000 puis par l’immigration de travail à 50 000. Et la plus sensible, celle des réfugiés en forte progression à 50 000 l’année dernière dont 30% sont acceptés. D’où le nombre important de clandestins qui s’additionnent au fil des années faute de reconduite à la frontière.
Profil de ces migrants : des jeunes, des femmes, peu diplômés et originaires des pays de Maghreb dont en tête l’Algérie mais aussi, phénomène nouveau, les pays de l’Afrique subsaharienne.
«La France est généreuse», précise-t-il, contrairement à ce qu’affirment les organisations humanitaires. Aide médicale, allocations sociales, accueil hôtelier, tolérance aux campements… Des populations attirées par l’Europe car ce sont justement «des Etats sociaux adossés à des systèmes démocratiques»
Mais pour Didier Leschi «la principale difficulté» pour intégrer ces immigrés c’est «l’écart culturel qui s’accentue, du en particulier à des facteurs religieux». Et sans tabou, il évoque l’origine cette immigration : «une jeunesse sans perspective» fuyant des pays qui ont «raté leur décolonisation» mais qui continuent à attribuer leurs échecs à cette colonisation.
De l’Algérie au Venezuela, c’est aussi l’échec de la gauche, suggère cet ancien gauchiste en soulignant la différence avec les pays asiatiques, eux aussi colonisés, mais qui ne jouent pas avec cet alibi.
Interrogé sur la délinquance dans les populations immigrées, l’auteur du «Grand dérangement» (Gallimard) souligne que « la majorité des immigrés ont réussi leur intégration» et que seule «une minorité» bruyante et visible se distingue. Phénomène qu’il attribue aux «garçons» alors que les filles s’en sortent mieux, notamment à l’école et professionnellement. Mais il insiste également sur le rôle de certains pays comme la Turquie qui cultive chez leurs ressortissants les réflexes identitaires et religieux en estimant, comme le président Erdogan, que l’intégration s’apparente à «un crime contre l’humanité».
Déplorant que dans les débats politiques «la passion l’emporte sur le réel» il conclut en répétant que la France et l’Europe font preuve de tolérance et d’ouverture. Et que les ONG qui dénoncent «le racisme systémique» des Etats européens sont piégées par leur «radicalité» alors que le premier sauveteur en Méditerranée est la marine italienne, qu’un algérien sur deux bénéficie en France d’un logement social…
Pour lui les solutions sont d’abord européennes afin de réguler les flux migratoires mais il préconise aussi quelques inflexions dans les stratégies d’intégration, notamment une meilleure répartition des immigrés sur le territoire français et un discours «ferme» sur les dérives culturelles et religieuses. «Le respect des personnes ne doit pas conduire à un relativisme sur certains fondamentaux», notamment l’égalité hommes-femmes. Essentiel pour préserver «l’esprit des Lumières».
"Un optimisme raisonnable"
Joli succès pour la première séquence de Philo Décrypte, le 11 janvier : "Terre et Guerre".
Devant un cénacle attentif, Jean-Noël Dumont a été brillant et convaincant en analysant un phénomène vieux comme le monde mais toujours au coeur de l’actualité.
«Dieu a inventé la guerre pour nous apprendre la géographie» Quelques mots ont suffit pour lancer Jean-Noël Dumont qui a inauguré de façon magistrale ces moments de réflexion, tous les deuxièmes jeudis de chaque mois, pour apporter «un regard distancié sur l’actualité». Une heure, à peine plus, rythmée par quelques questions de Philippe Brunet- Lecomte, sur un sujet chaud en ce début d’année : «Terre et Guerre». Le philosophe va proposer une analyse des conflits en cours mais d’abord une définition du mot guerre. On reconnait le pédagogue.
La guerre n’est pas une bagarre mais «une opération militaire décidée par un Etat avec un but précis». Et il cite Clausewitz pour souligner la dimension toujours politique des conflits qui enflamment la planète depuis des siècles.
Mais Jean-Noël Dumont n’élude pas la controverse en invoquant deux livres publiés dans les années 90. Fukuyama qui démontre que la guerre est «un modèle dépassé» dans un monde où tout va se négocier. «La fin de l’histoire». Huntington, lui, démontre l’inverse en soulignant que sous les phénomène politiques, il y a un socle plus fondamental qui assure un bel avenir pour les guerres. «Choc des civilisations». A l’origine de ces innombrables guerres un affrontement entre sédentaires et nomades. De Cain et Abel jusqu’à l’Afrique d’aujourd’hui où les frontières artificielles enflamment ce continent.
Deux cultures. Une symbolique forte.
Enjeu territorial en apparence. Mais surtout une volonté de s’approprier des richesses. Une puissance.
Alors que «les discours patriotiques et religieux servent de musique pour entrainer les foules».
Pas très compliqué au fond car les peuples sont «prêts à se sacrifier» à condition qu’on leur donne des raisons à la hauteur.
«La guerre ce sont des intérêts défendus par des gens désintéressés» insiste Jean-Noël Dumont en soulignant avec Benjamin Constant que «la guerre mobilise ce qu’il y a de plus beau en l’homme : fraternité, discipline, courage…» Mais provoque aussi des horreurs car on est toujours dans un registre passionnel.
Logiquement l’Ukraine se faufile. Le philosophe évoque Maïdan où il était présent pour saluer «un peuple
qui prend conscience de lui-même» avec ferveur. Mais il nuance en reconnaissant que les frontières de ce pays sont «en partie abstraites» alors que «la détestation des russes» est très vive. Pas de solution pour lui, si ce n’est une négociation pour mettre fin à ce drame. Même approche nuancée sur le conflit isarélo-palestinien. Avec deux lectures de l’histoire juive à travers l’Ancien Testament. Une lecture "politique", une capitale, un roi... Et une lecture "prophétique " qui rejette le modèle territorial. «Hébreux veut dire nomade» glisse-t-il dans un sourire. Ce qui l’empêche pas de saluer la création de l’Etat d’Israel, «contre coup de la Shoah». Tout en estimant que les Palestiniens doivent être reconnus. «La seule solution raisonnable c’est la solution à deux Etats».
Mais la conclusion est étonnante car optimiste . Pour une raison assez lumineuse : aujourd’hui «l’humanité prend conscience d’elle-même». Deux indices : la reconnaissance du crime contre l’humanité et des enjeux climatiques. «Une communauté de destin» qui s’impose peu à peu malgré la menace nucléaire.
«Plus on augmente notre puissance, plus nécessairement, notre prudence augmente».
Un séquence particulièrement dense sur un sujet complexe. Impossible à résumer en quelques lignes.
D’où un podcast pour apprécier cette balade philosophique au coeur de l’actualité. Brillant, parfois drôle voire provocateur mais toujours argumenté. De la profondeur aussi. Et surtout une grande liberté pour donner une petite chance à la vérité. Une formule de ce philosophe étonnant. Et stimulant.
Napoléon Bonaparte franchissant le col du Grand-Saint-Bernard par Jacques-Louis David / 1800